Méditation avec Le Traité de l'Amour de Dieu de St François de Sales
19 mars
CHAPITRE VIII
Quelle est la convenance qui excite l'amour.
Et bien, que quelques-uns, pour réduire toutes les convenances à la ressemblance, assurent que le fer tire le fer, et l'aimant tire l'aimant; si est-ce qu'ils ne sauraient rendre raison pourquoi l'aimant tire plus puissamment le fer, que le fer ne tire le fer même. Mais, je vous prie, quelle similitude y a-t-il entre la chaux et leau, ou bien entre l'eau et l'éponge? et néanmoins la chaux et l'éponge prennent l'eau avec une avidité nonpareille, et témoignent envers elle un amour insensible, extraordinaire. Or, il en est de même de l'amour humain ; car il se prend quelquefois plus fortement entre des personnes de contraires qualités, qu'entre celles qui sont fort semblables. La convenance donc, qui cause l'amour, ne consiste pas toujours en la ressemblance, mais en la proportion, rapport, ou correspondance de l'amant à la chose aimée.
Car ainsi, ce n'est pas la ressemblance qui rend aimable le médecin au malade, aine la correspondance de la nécessité de l'un avec la suffisance de l'autre, d'autant que l'un a besoin du secours que l'autre peut donner; comme aussi le médecin aime le malade, et le savant sou apprenti, parce qu'ils peuvent exercer leurs facultés sur eux. Les vieillards aiment les enfants, non point par sympathie, mais d'autant que l'extrême simplicité, faiblesse et tendreté des uns rehausse et fait mieux paraître la prudence et assurance des autres, et cette dissemblance est agréable : au contraire, les petits enfants aiment les vieillards parce qu'ils les voient amusés et embesoignés deux, et que, par un sentiment secret, ils connaissent qu'ils ont besoin de leur conduite (d'être conduits par eux). Les accords de musique se font en la discordance, par laquelle les voix dissemblables se correspondent, pour toutes ensemble faire un seul rencontre de proportion: comme la dissemblance des pierres précieuses et des fleurs fait l'agréable composition de l'émail et de la diapreure.
Ainsi l'amour ne se fait pas toujours par la ressemblance et la sympathie, ains par la correspondance et proportion qui consiste en ce que, par lunion dune chose à une autre, elles puissent recevoir naturellement de la perfection, et devenir meilleures. La tête certes ne ressemble pas au corps, ni la main au bras, mais néanmoins ces choses ont une si grande correspondance et joignent si proprement lune à lautre, que, par leur mutuelle conjonction, elles sentre-perfectionnent excellemment. Cest pourquoi si ces parties-là avaient chacune une âme distincte, elles sentraimeraient parfaitement, non point par ressemblance, car elles non point ensemble, mais pour la correspondance quelles ont à leur mutuelle perfection. En cette sorte les mélancoliques et les joyeux, les aigres et les doux sentraiment quelquefois réciproquement pour les mutuelles impressions quils reçoivent les uns des autres, au moyen desquelles leurs humeurs sont mutuellement modérées.
Mais quand cette mutuelle correspondance est conjointe avec la ressemblance, lamour sans doute sengendre bien plus puissamment; car la similitude étant la vraie image de lunité, quand deux choses semblables sunissent par correspondance à même fin, il semble que ce soit plutôt unité quunion.
La convenance donc de lamant à la chose aimée est la première source de lamour, et cette convenance consiste à la correspondance, qui nest autre chose que le mutuel rapport, qui rend les choses propres à sunir, pour sentre-communiquer quelque perfection. Mais ceci sentendra de mieux en mieux par le progrès du discours.