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L'éternelle vie et la profondeur de l'âme par Fr. Garrigou-Lagrange : 4 mars
CINQUIÈME PARTIE
CHAPITRE II - QUELLE EST LA NATURE DE L'ÉTERNELLE BÉATITUDE ?
Il faut la considérer d'abord du côté de l'objet capable de nous rendre pleinement heureux, et ensuite du côté du sujet et de ses facultés. ( Cf. Dict. Théol. Cath., art. Béatitude (A. GARDEIL).)
LA BÉATITUDE DU CÔTÉ DE SON OBJET
Saint Thomas définit l'objet de la béatitude: « le bien parfait qui donne le repos et satisfait pleinement le désir de l'être raisonnable ». ( « Bonum perfectum totaliter quietans et satians appetitum » Ia, IIae, q. 2, a. 8.).
Et il ajoute : « seul le bien incréé et infini peut satisfaire pleinement le désir d'une créature qui, par l'intelligence, conçoit le bien universel ».
Tandis que le vrai est formellement dans l'esprit qui juge en conformité avec les choses, le bien, objet de la volonté, est dans les choses bonnes ; le désir naturel ou connaturel de la volonté se porte donc, non pas vers l'idée abstraite du bien, mais vers le bien réel, et il ne peut trouver la vraie béatitude en aucun bien fini et limité, mais seulement dans le Souverain Bien, qui est le bien universel par son être même ou sa Perfection, et la source de tous les autres. ( Solus Deus est bonum universale, non in praedicando, sed in essendo et in causando.).
Il est impossible que l'homme trouve le vrai bonheur qu'il désire naturellement, en aucun bien limité (plaisirs, richesses, honneur, gloire, pouvoir, connaissance de sciences, etc.), car notre intelligence, constatant aussitôt la limite, conçoit un bien supérieur et nous porte à le désirer. Il faut le redire : notre volonté, éclairée par l'intelligence, est d'une profondeur sans mesure, que Dieu seul peut combler.
C'est ce qui faisait dire à saint Augustin ( Conf., l. V, c. IV.) : « Malheureux celui qui connaît toutes ces choses et qui ne vous connaît pas, mon Dieu ; bienheureux celui qui vous connaît, quoiqu'il les ignore. Et quant à celui qui vous connaît et connaît aussi ces choses, il n'est pas plus heureux pour les connaître, mais c'est la seule connaissance qu'il a de vous qui le rend heureux, pourvu qu'en vous connaissant comme Dieu, il vous glorifie aussi comme Dieu, qu'il vous rende grâces de vos dons et ne se perde pas dans la vanité de ses pensées ».
On distingue la béatitude naturelle et la béatitude surnaturelle.
La béatitude naturelle consiste dans la connaissance et l'amour de Dieu, auxquels on parviendrait par les seules facultés naturelles.
Et si l'homme avait été créé dans un état purement naturel, il aurait, par sa fidélité au devoir, mérité cette béatitude : une connaissance naturelle de Dieu par le reflet de ses perfections dans les créatures, connaissance sans mélange d'erreur, et un amour raisonnable de Dieu, auteur de la nature, de Dieu créateur, amour fait de respect, de soumission, de fidélité, de la reconnaissance, non pas du fils, mais du bon serviteur à l'égard du meilleur des Maîtres.
La béatitude surnaturelle, celle dont nous parlons, dépasse sans mesure les forces naturelles et les exigences de toute nature créée, même des natures angéliques les plus hautes et de celles que Dieu pourrait encore créer. Elle consiste dans une participation de la béatitude même de Dieu, de celle dont Il jouit en se voyant et en s'aimant lui-même de toute éternité. Ainsi est-il dit dans la parabole des talents, au bon serviteur : « intra in gaudium Domini tui, entre dans la béatitude même de ton maître ». MATTH., XXV, 21, prends part à ma béatitude même.