Méditation avec Le Traité de l'Amour de Dieu de St François de Sales
8 avril
CHAPITRE XVII
Que nous n'avons pas naturellement le pouvoir d'aimer Dieu sur toutes choses.
Hélas! Théotime, quels beaux témoignages, non seulement d'une grande connaissance de Dieu, mais aussi d'une forte inclination envers icelui, ont été laissés par ces grands philosophes, Socrate, Platon, Trismégiste, Aristote, Hippocrate, Épictète, Sénèque! Socrate, le plus loué d'entre eux, connaissait clairement l'unité de Dieu, et avait tant d'inclination à l'aimer, que, comme saint Augustin témoigne, plusieurs ont estimé qu'il n'enseigna jamais la philosophie morale par autre occasion que pour épurer les esprits, afin qu'ils pussent mieux contempler le souverain bien, qui est la très unique Divinité.
Et quant à Platon, il se déclare assez en la célèbre définition de la philosophie et du philosophe, disant que philosopher n'est autre chose qu'aimer Dieu, et que le philosophe n'était autre chose que l'amateur de Dieu. Que dirai-je du grand Aristote, qui avec tant d'efficace prouve l'unité de Dieu, et en a parlé si honorablement en trois endroits ?
Mais, ô grand Dieu éternel ! ces grands esprits qui avaient tant de connaissance de la Divinité, et tant de propension à l'aimer, ont tous manqué de force et de courage à la bien aimer. Par les créatures visibles ils ont reconnu les choses invisibles de Dieu, voire même son éternelle vertu et divinité, dit le grand Apôtre, de sorte qu'ils sont inexcusables, d'autant qu'ayant connu Dieu, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu, ni ne Lui ont pas fait action de grâces.
Ils l'ont certes aucunement glorifié, lui donnant des souverains titres d'honneur; mais ils ne l'ont pas glorifié comme il le fallait glorifier, c'est-à-dire ils ne l'ont pas glorifié sur toutes choses, n'ayant pas eu le courage de ruiner l'idolâtrie, ains communiquant avec les idolâtres, retenant la vérité, qu'ils connaissaient, en injustice, prisonnière dedans leur coeur, et préférant l'honneur et le vain repos de leurs vies à l'honneur qu'ils devaient à Dieu, ils se sont évanouis en leurs discours.
N'est-ce pas grande pitié, Théotime, de voir Socrate, au récit de Platon, parler en mourant des dieux; comme s'il y en avait plusieurs, lui qui savait si bien qu'il y en avait qu'un seul ? N'est-ce pas chose déplorable que Platon ait ordonné que l'on sacrifie à plusieurs dieux, lui qui savait si bien la vérité de l'unité divine ? Et Mercure Trismégiste n'est-il pas lamentable, de lamenter et plaindre si lâchement l'abolissement de lidolâtrie, lui qui en tant dendroits avait parlé si dignement de la Divinité?
Mais surtout j'admire le pauvre bonhomme Epictète, duquel les propos et sentences sont si douces à lire en notre langue, par la traduction que la docte et belle plume du R. P. Jean de Saint-François, provincial de la congrégation des Feuillants ès Gaules, a depuis peu exposée à nos yeux; car quelle compassion, je vous prie, devoir cet excellent philosophe parler parfois de Dieu avec tant de goût, de sentiment et de zèle, qu'on le
prendrait pour un chrétien sortant de quelque sainte et profonde méditation, et néanmoins ailleurs, d'occasion en occasion, mentionner les dieux à la païenne ! Hé! ce bonhomme, qui connaissait si bien l'unité divine, et avait tant de goût de la bonté d'icelle, pourquoi n'a-t-il pas eu la sainte jalousie de l'honneur divin, afin de ne point, gauchir ni dissimuler en un sujet de si grande importance?